Les créances impayées constituent l’une des principales causes de défaillance des entreprises et exposent souvent les créanciers à devoir se soumettre aux difficultés de recouvrement lorsque leur débiteur fait face à des problèmes d’ordre économiques. C’est ce qu’illustre le rapport Doing Business 2014 qui indique que les créanciers des Etats de l’espace Ohada doivent patienter en moyenne 38 mois pour être payés, et ne peuvent recouvrer environ que 14% de leurs créances en souffrance du fait des couts des procédures qui représentent 21,56% de la valeur du patrimoine de chaque entreprise liquidée.
Cependant la nouvelle réglementation, issue de la réforme du Droit des procédures collectives en droit OHADA, améliore considérablement la situation des créanciers. D’abord par le renforcement du volet préventif qui prévoit désormais une procédure de conciliation à côté des procédures classiques de règlement préventif, de redressement judiciaire et de liquidation des biens, ensuite par l’encadrement de la durée de chaque procédure, et enfin par la facilitation de l’accès à l’information destinée aux créanciers sur la situation de leur débiteur. A travers cette lettre d’information, notre préoccupation est d’attirer l’attention des créanciers sur les particularités de ces différentes procédures, mais également de leur indiquer les diligences qu’ils doivent nécessairement accomplir pour optimiser leur chance de recouvrement.
Qu’est-ce qu’une entreprise en difficulté ?
Une entreprise est en difficulté lorsque sa situation économique et financière se dégrade plus ou moins et l’empêche ainsi à faire face à ses engagements vis-à-vis de ses créanciers (fournisseurs, banquiers, salariés…).
Il convient de signaler, toutefois, que les difficultés de l’entreprise sont multiples et présentent des degrés de gravité dont l’appréciation permettra au tribunal de déterminer la procédure appropriée. Il s’agit de procédures dites collectives permettant au débiteur de retrouver une meilleure santé financière et de pouvoir ainsi payer ses dettes envers ses créanciers.
Ces procédures qui sont au nombre de 4, à savoir : la conciliation, le règlement préventif, le redressement judiciaire et la liquidation des biens, poursuivent essentiellement 3 objectifs :
- Assurer la sauvegarde de l’entreprise et donc des divers intérêts catégoriels : ceux des partenaires financiers, des partenaires commerciaux, de l’Etat, des salariés…
- Soumettre les créanciers à une discipline collective pour ne pas compromettre les chances de survie de l’entreprise, le cas échéant ;
- et enfin assurer un traitement égalitaire des créanciers qui voient leurs prérogatives habituelles restreintes.
Elles sont applicables à toute personne physique exerçant une activité professionnelle indépendante civile, commerciale, artisanale ou agricole ainsi qu’à toutes les personnes morales de droit privé et parfois de droit public (les sociétés commerciales ou civiles, les entreprises publiques ayant la forme d’une personne morale de droit privé…).
Quelle est la particularité du recouvrement sur une entreprise en difficulté ?
D’habitude la loi accorde une grande liberté d’action au créancier pour récupérer ses fonds à l’égard de son débiteur. En effet ce recouvrement se déroule d’ordinaire suivant les procédures de droit commun qui permettent à chaque créancier de poursuivre directement et individuellement son débiteur en recourant aux procédures classiques telles que l’assignation en paiement et l’injonction de payer, pour ne citer que les plus courantes.
Cependant dans le but d’atteindre les objectifs sus évoqués, la loi apporte des restrictions majeures aux prérogatives habituelles des créanciers qui se matérialisent par la suspension des poursuites individuelles, l’arrêt des inscriptions des garanties, celui du cours des intérêts débiteurs, la suspension des voies d’exécution…
Il convient donc de relater succinctement la spécificité du recouvrement de créances dans ces différentes procédures, étant entendu que des ouvrages spécialisés sont disponibles pour ceux qui veulent aller plus loin.
I. Le recouvrement de créances dans une procédure de conciliation
Qu’est qu’une procédure de conciliation ?
La procédure de conciliation est une procédure préventive, confidentielle et consensuelle en ce sens qu’elle intervient avant la cessation des paiements, ne fait l’objet d’aucune publicité et repose sur un accord du débiteur avec ses principaux créanciers par l’entremise d’un tiers appelé conciliateur et sous réserve de la validation du tribunal de commerce. Cet accord porte généralement sur les délais de paiement, les remises ou abandons partiels de créances afin de restructurer financièrement ou de façon opérationnelle l’entreprise.
Quels sont les effets de la procédure de conciliation sur le recouvrement de votre créance ?
La procédure de conciliation est ouverte par une requête simple du débiteur ou par une requête conjointe introduite par ce dernier avec un ou plusieurs de ses créanciers.
D’emblée, à l’ouverture de la procédure de conciliation, vous ne pourriez recouvrer votre créance à titre individuel que lorsque vous n’êtes pas partie à l’accord de conciliation. Le cas
contraire, vous êtes tenus de respecter les termes de l’accord. En effet, pendant la durée de son exécution, l’accord interrompt ou interdit toute poursuite individuelle, tant sur les meubles que sur les immeubles du débiteur, à moins de disposer contre le même débiteur de créances autres que celles portées à l’accord de conciliation.
A noter qu’il est cependant risqué pour le créancier appelé à la conciliation d’engager, pendant la période de recherche de l’accord, des poursuites à l’endroit de son débiteur. Le président du tribunal peut en ce cas, à la demande du débiteur et après avis du conciliateur, reporter le paiement des sommes dues et ordonner la suspension des poursuites engagées par le créancier.
Enfin, peu importe votre statut de créancier, – commerçant, banque, société immobilière, opérateur économique, investisseur- , la procédure de conciliation présente de moindres risques au recouvrement de votre créance tant et si bien qu’il vous est permis de recouvrer vos actions et droits de poursuites individuelles au terme d’un délai de 4 mois après son ouverture.
II. Le recouvrement dans une procédure de règlement préventif
Qu’est-ce que la procédure de règlement préventif ?
Le règlement préventif est une procédure destinée à éviter la cessation des paiements ou la cessation d’activité de l’entreprise, et à permettre l’apurement de son passif au moyen d’un concordat préventif (accord entre le débiteur et ses principaux créanciers, homologué par le tribunal).
Quelles sont vos chances de recouvrement lorsque votre débiteur est placé en règlement préventif ?
Le règlement préventif s’ouvre par une décision du tribunal suspendant les poursuites individuelles des créanciers et ordonnant la nomination d’un expert chargé de dresser un rapport sur la situation économique et financière de l’entreprise, soit après requête simple du débiteur déposée auprès du tribunal ou soit sur la base d’une requête conjointe déposée par ce dernier avec un ou plusieurs de ses créanciers.
Elle prend fin lorsque le concordat est validé par le tribunal. De l’ouverture de la procédure à la conclusion du concordat, vous ne pouvez en tant que créancier entamer aucune poursuite individuelle, ni pratiquer des saisies à fins d’exécution.Vos créances sont pour le moment gelées.
De même, lorsque la juridiction approuve le concordat, il s’impose à tous les créanciers antérieurs qu’ils soient ou non garanties, dans les conditions de délais et de remises qu’ils ont consentis au débiteur. Dans le but de sauvegarder les intérêts en présence, le juge peut imposer le concordat même aux créanciers qui n’y ont pas consentis sous certaines conditions.
Par ailleurs, peu importe le statut de votre débiteur (société commerciales, entreprenants ou simples particuliers), si vous négociez avec lui un concordat, assurez-vous pour mieux évaluer vos chances de recouvrement, de bien étudier les éléments qu’il vous propose pour le remboursement de la dette, de même que ceux avancés par ses autres créanciers le cas échéant. Le concordat doit paraître sérieux aux yeux du tribunal pour sa validation. Et pour ce faire, il doit définir les modalités de continuation de l’entreprise, telles que les délais, remises, cession totale ou partielle de biens sur lesquels vous vous accorder avec votre débiteur. Le concordat doit aussi préciser les modalités de maintien et du financement de l’entreprise, du règlement du passif intervenu avant l’ouverture de la procédure de règlement préventif, ainsi que s’il y a lieu, les garanties nécessaires à son exécution.
Au final, promouvant la rapidité de la procédure, la loi vous permet en tant que créancier de mettre en branle les procédures de droit commun sur votre débiteur, si l’expert ne dépose pas à temps son rapport et si la juridiction compétente n’homologue pas dans les brefs délais qui lui sont impartis l’accord intervenu entre le débiteur et ses créanciers.
III. Le recouvrement dans une procédure de redressement judiciaire
Qu’est-ce que le redressement judiciaire ?
Le redressement judiciaire est une procédure applicable au débiteur qui est déjà en cessation des paiements mais dont la situation financière n’est pas irrémédiablement compromise. Son but est double : assurer le paiement des créanciers et sauver l’entreprise du débiteur en difficulté. Le sauvetage de l’entreprise se fait par le biais d’un concordat de redressement qui est un accord passé entre le débiteur et ses créanciers sous la surveillance du tribunal.
La cessation des paiements est donc un élément déterminant pour l’ouverture de cette procédure. Elle est définie comme l’état où le débiteur se trouve dans l’impossibilité de faire face à son passif exigible avec son actif disponible, à l’exclusion des situations où les réserves de crédits ou les délais de paiement dont le débiteur bénéficie de la part de ses créanciers lui permettent de faire face à son passif exigible. En fait deux critères permettent de déterminer l’état de cessation des paiements de l’entreprise en difficulté. Il s’agit de l’insuffisance de l’actif disponible et de l’exigibilité du passif.
L’actif disponible renvoie aux liquidités en caisse, aux comptes en banque lorsqu’ils sont créditeurs. Quant au passif exigible, il renvoie au passif arrivé à échéance. Et même s’il n’est pas exigé par le créancier, il sera toujours considéré comme exigible.
Plusieurs indices peuvent vous permettre de détecter l’état de cessation de paiements de votre débiteur. Il en va ainsi, par exemple lorsque le débiteur ne paie pas ses factures échues, lorsqu’il émet des chèques sans provision ou des effets de commerce qui finissent par être protestés ou encore lorsqu’il ferme son entreprise et disparait. Il en est de même lorsqu’il vend ses marchandises à perte dans le seul but de dissimuler sa véritable santé financière ou lorsqu’il emprunte à des taux usuraires simplement pour pouvoir disposer de liquidités.
En outre, vous devez en tant que créancier, vous informer en temps utile en consultant les documents comptables ou les comptes publiés de l’entreprise en difficulté pour mieux préparer vos moyens d’action et recouvrer votre créance. Désormais, outre les bulletins d’annonces légales ou le bulletin national des registres du commerce et du crédit mobilier, vous pouvez même vous informer sur la situation de votre débiteur, à travers les quotidiens nationaux d’information. Ceci vise à vous protéger et à assurer beaucoup plus de transparence dans la gouvernance des entreprises.
Quelles sont les diligences à accomplir durant le redressement pour recouvrer votre créance ?
Pour que votre créance soit admise dans la procédure de redressement et ainsi faciliter son recouvrement ultérieur, vous devez observer certaines diligences. Il est important de les respecter parce que dès l’ouverture de la procédure de redressement judiciaire, votre droit de poursuite individuellement contre votre débiteur est suspendu. De plus tous les créanciers sont regroupés dès cet instant dans une collectivité appelée la masse, et sont tous représentés par un syndic, lui-même désigné par le Tribunal de commerce.
Concrètement, dès cet instant vous devez savoir les droits qui vous sont accordés par la procédure ainsi que les obligations auxquelles vous êtes astreints parce que tous les créanciers ne subissent pas le même sort. En effet, si votre créance est née avant l’ouverture de la procédure, vous êtes considéré comme un créancier dans la masse. Dans cette situation, pour toutes vos actions, réclamations, vous devez les signifier au syndic qui se chargera de vous représenter.
Par contre, si votre créance est née après l’ouverture de la procédure, vous êtes considérés comme un créancier de la masse, c’est-à-dire vous n’êtes pas concerné par la procédure. Votre créance n’est pas suspendue. Vous pourriez la recouvrer en usant des voies de recours ordinaires.
Enfin, évitez de passer avec votre débiteur, des actes en fraude aux droits des autres créanciers. Vous risquez de perdre votre créance et être considéré comme un créancier hors de la masse.
Respectez les diligences que la loi vous impose si vous désirez récupérer vos deniers.
D’abord vous devez produire votre créance (c’est-à-dire la déclarer) auprès du syndic qui se charge d’établir l’état des créances. Cette production doit intervenir dans les 60 jours suivants la deuxième insertion dans un journal d’annonces légales (le délai est porté à 90 jours lorsque vous êtes domicilié à l’étranger). Dans cette déclaration à remettre au syndic vous devez indiquer la créance due au moment de la procédure ainsi que les échéances.
Le syndic se charge ensuite de vérifier les créances déclarées et procède à leur arrêt en déterminant celles qui seront admises et celles qui ne le seront pas. Il faut noter que lorsque votre créance a été rejetée lors de la vérification, vous disposez encore d’un délai de 30 jours, à compter de l’avis de rejet, pour fournir des explications au syndic.
Ainsi pour espérer recouvrer votre créance, celle-ci doit nécessairement être produite, vérifiée et admise.
Quant au recouvrement en question, il se fait conformément aux conditions qui ont été retenues entre vous et votre débiteur dans le concordat.
Enfin il faut noter que le redressement judiciaire est limité dans le temps. En effet la loi prévoit qu’à l’expiration d’un délai de 6 mois à compter du jugement d’ouverture (ou 9 mois au plus, en cas de prorogation de 3 mois), le redressement judiciaire doit avoir abouti ; à défaut, il doit être converti en liquidation des biens.
IV. Le recouvrement dans une procédure de liquidation des biens
Qu’est-ce que la liquidation des biens ?
La liquidation des biens est une procédure applicable à tout débiteur se trouvant en cessation des paiements et dont le redressement est manifestement impossible. Elle est destinée à mettre fin à l’activité de l’entreprise, à réaliser ses actifs par une cession globale ou séparée de ses droits et de ses biens. Un liquidateur est donc nommé pour vendre les biens, récupérer les deniers et payer les dettes.
Comment recouvrement votre créance dans une procédure de liquidation des biens ?
Dans le cadre de la liquidation des biens, la loi a prévu un ordre de paiement des créanciers. Mais pour que vous puissiez avoir un rang dans cet ordre, il faut d’abord respecter les diligences relatives à la production de votre créance afin que celle-ci soit vérifiée pour éventuellement être admise.
L’ordre des paiements diffère quant à lui selon que les deniers proviennent de la vente (liquidation) d’un bien meuble ou d’un bien immeuble du débiteur.
en cas de deniers provenant de la vente des immeubles du débiteur, l’ordre est le suivant :
- Les créanciers titulaires du privilège de l’argent-frais (c’est-à-dire ceux qui, pendant la procédure conciliation, de règlement préventif ou de redressement judiciaire, après homologation du concordat, ont consenti un nouvel apport en trésorerie ou ont fourni un nouveau bien ou service au débiteur en vue d’assurer la poursuite de l’activité de l’entreprise. Il en est de même si l’apport a été effectué dans le cadre de la liquidation des biens ou de reconversion d’un redressement judiciaire en liquidation des biens.
- Les créanciers des frais de justice engagés pour parvenir à la réalisation du bien vendu et à la distribution du prix (avocats, huissiers, notaires…) ;
- Créanciers de salaires super privilégiés en proportion de la valeur de l’immeuble par rapport à l’ensemble de l’actif ;
- Les créanciers titulaires d’une hypothèque conventionnelle ou forcée ;
- Les créanciers de la masse (ceux dont la créance est régulièrement née après l’ouverture de la procédure de liquidation) ;
- les créanciers munis d’un privilège général soumis ou non soumis à la publicité ;
- les créanciers chirographaires (c’est-à-dire n’ayant aucune garantie spécifique) qui sont munis d’un titre exécutoire ;
- Les créanciers chirographaires qui ne sont pas munis d’un titre exécutoire.
en cas de deniers provenant de la vente des biens meubles du débiteur, l’ordre est le suivant :
- Les créanciers bénéficiant du privilège de l’argent-frais ;
- Les personnes dont les créances sont nées dans les démarches en vue de la vente du bien et à la distribution du prix ;
- Les créances nées de frais engagés pour la conservation du bien du débiteur dans l’intérêt du créancier dont les titres sont antérieurs en date ;
- Les créanciers de salaires super privilégiés en proportion de la valeur du meuble par rapport à l’ensemble de l’actif ;
- Les créanciers garantis par un privilège général soumis à publicité, un gage ou un nantissement chacun à la date de son opposabilité aux tiers ;
- Les créanciers munis d’un privilège mobilier spécial, chacun sur le meuble supportant le privilège ;
- Les créanciers de la masse ;
- Les créanciers munis d’un privilège général ;
- Les créanciers chirographaires munis d’un titre exécutoire ;
- Les créanciers chirographaires ne disposant pas d’un titre exécutoire.
En fin de compte, même si les procédures collectives freinent les initiatives du créancier en matière de recouvrement, il n’en demeure pas moins que ce dernier peut toujours recouvrer sa créance dès l’instant qu’il accomplit les diligences nécessaires, bénéficie de garanties ou de suretés efficaces de sa créance, et enfin occupe un rang privilégié dans l’ordre de paiement des créances. Aujourd’hui, le créancier n’est plus l’agneau du sacrifice qui pansera les plaies de l’entreprise en difficulté. Il bénéficie désormais d’un statut privilégié et qu’à l’autel de la faillite, ses intérêts sont sauvegardés !